Sociétal

Les chaines de la liberté

Où se trouve l’art et ses symboles ? Tout peut être produit en séries, et la notion de l ’infini se rapporte à cette suite de pr oduits matériels qui se diffusent à l ’identique de par le monde : robes, voitures, informations et morales qui s’en suivent, toujours les mêmes, comme s’il devait y avoir un code unique pour v ivre et réfléchir. Nous sommes dans la civ ilisation du Grand Tout, du monde petit comme un village sur une orange, où le principe de l’individuel personnalisé est soumis à rude épreuve à cause de la contrainte de coûts qui mène à l’obligation de conformité avec le modèle dominant. Comment pourrait-il en être autrement alors que les économies d’échelle sont nécessaires et que c’est le modèle dominant qui peut le mieux les utiliser ?

Cette contrainte est ainsi celle de la mode. Les créateurs s’en sortent en présentant lors des grands défilés des modèles qui cherchent l’originalité à tout prix, afin de se différencier du reste de leur production standard. C’est le problème aussi de la musique où l’on doit se plier aux lois habituelles du genre choisi par les quelques majors qui se trouvent aussi contraints de minimiser leurs risques. C’est aussi le drame de l’édition. Les librairies disparaissent, il risque de n’en rester bientôt qu’une seule pour 600 000 habitants, ce qui nous mettrait aux normes de la culture américaine. Un éditeur est obligé de tenir compte de cette réduction en cours en se mettant le plus possible aux normes des autres éditeurs, et ces derniers vont s’aligner sur le plus petit commun dénominateur. En répercussion, les écrivains font de même, afin de se conformer à la minimisation de tous ces risques. On voit ainsi le même type de livre produit en cascade, avec la même morale, le même style. Il ne s’agit pas d’une censure officielle,mais d’une autre encore plus redoutable, celle du marché envisagé comme un équilibre minimum à ne pas dépasser. C’est la nouvelle forme du corporatisme qui reposait sur des règles d’autocontrôle afin d’éviter les aléas de la création. Quant à la peinture moderne, elle subit les modes venues non pas d’un agrégat de choix individuels, mais d’un calcul sur les cours de vente de ce qui peut être le plus bancable. C’est toujours de la minimisation du risque, avec son même corollaire, la non-créativité et la reconduction des mêmes schémas à moindre coût. Jusqu’à la perte de sens. Le seul rempart contre cet état de fait qui est une misère morale de fait, c’est le produit de luxe ou le produit qui refuse toute part de valeur marchande dans sa création. Mais seul le luxe peut se permettre de prendre des paris importants, de perdre de l’argent, de voir loin et d’être sensible à un effort personnel qui n’est pas celui d’un consommateur mais d’un créateur. Le luxe arrivera-t-il à imposer son originalité dans un monde qui se veut égalitaire pour satisfaire les lois du marché qui est à l’optimum lorsque tout se ressemble ?
C’est un vaste débat. Il se poursuit à tous les niveaux de décision. La cathédrale de Paris flambe ? Il faut la reconstruire à l’identique. Et ceci est présenté comme une performance d’excellence, sans réfléchir que c’est le contraire d’une démarche de création. Mais on a pris l’habitude de se répéter. Envisager autre chose est en train de passer pour un sacrilège qui devient même, dans ce cas, un blasphème envers la religion.
Au moment du déclin de l’idéologie communiste, un chanteur avait trouvé la formule : Lénine, reviens, ils sont en train de devenir fous. On peut espérer qu’un nouveau chanteur chantera : Saint-Laurent, Rimbaud et Camille Claudel, revenez, ils sont en train de devenir fous.